Le Mot du gérant
2021-01-06
Un vaccin, un accord et un nouveau président sous le sapin.
Après cette fin d’année passée à espérer une amélioration de la situation sanitaire et à attendre le dénouement des feuilletons politiques, les investisseurs finissent l’année assez soulagés vis-à-vis des perspectives à moyen terme. En effet, même si le nombre de contaminations a récemment fortement augmenté, comme redouté, dans la plupart des pays occidentaux, la confirmation de la mise sur le marché de plusieurs vaccins à brève échéance permet d’entrevoir le bout du tunnel et d’anticiper une nette amélioration des interactions humaines pour le second semestre 2021. Cela aurait pour conséquence de permettre à l’économie mondiale de vivre le rebond que beaucoup avaient espéré voir se manifester dans le sillage des déconfinements intervenus à la fin du second trimestre 2020. D’ici là, le maintien des mesures de soutien sans précédents décidés au cours de l’année écoulée sera clef afin d’éviter une aggravation de l’environnement macro et micro économique alors que de nombreux secteurs (tourisme, loisirs, transports, commerce…) sont toujours à l’arrêt ou tournent au ralenti.
Le bilan 2020 sur les taux de croissance ressort sans surprise extrêmement négatif dans la plupart des pays développés où l’impact de la pandémie a été toutefois très différent en fonction de la gestion de la crise et du poids des secteurs les plus touchés. Ainsi, la Chine devrait être un des seuls pays à pouvoir afficher une progression de son activité en 2020 avec environ 2% de croissance tandis que la croissance mondiale devrait s’être contractée de plus de -3.5%. Du côté de la Zone Euro, la baisse du PIB pourrait atteindre près de -7% (avec l’Allemagne à -5/-6%, la France et l’Italie entre -9% et -10%), alors qu’au Japon elle atteindrait -5% environ et « seulement » -3.6% aux Etats-Unis (en lien avec des mesures de confinement moins strictes qu’en Zone Euro). Outre-manche, l’économie britannique devrait être plus sévèrement touchée, du fait d’une situation sanitaire des plus compliquées et des incertitudes liées au Brexit.
C’est justement l’accord trouvé le 24 décembre sur le Brexit qui constitue, au-delà des nouvelles vaccinales encourageantes, une avancée positive de cette fin d’année 2020. Même s’il restera encore à négocier le cadre des prochaines relations entre l’UE et le Royaume-Uni concernant les secteurs des services (en particulier les services financiers), le traité garantit des échanges de biens sans droits de douane ni quota dans la mesure où ceux-ci respectent les « règles d’origine appropriées » et a permis de trouver un compromis sur le dossier épineux de la pêche.
L’élection finalement assez nette de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis a également été extrêmement suivie et commentée en cette fin d’année. Ce résultat, contrairement à la présidentielle précédente, a été conforme aux attentes et, malgré les tentatives désespérées de Donald Trump de remettre en cause l’élection, n’a pas entraîné d’affrontements entre les partisans de deux Amériques irréconciliables. Du côté du congrès, la chambre des représentants est restée aux mains des démocrates tandis que les élections sénatoriales en Géorgie (le 5 janvier) ont fait basculer le Sénat également dans le camp du président élu. Ceci devrait permettre à la nouvelle administration de faire passer une partie des mesures promises lors de la campagne électorale, notamment via des investissements massifs dans les infrastructures favorisant la transition énergétique. En attendant la mise en place d’un plan de relance plus important, démocrates et républicains se sont mis d’accord sur de nouvelles aides pour un montant de 900 Mds$, permettant d’éviter in extremis un nouveau « shutdown » d’une partie de l’administration américaine. En outre, cela a rendu possible le versement direct d’allocations aux petites entreprises et aux ménages dont les indemnités chômage arrivaient à échéance fin décembre.
Dans ce contexte encore très déprimé, la vigueur du rebond post pandémie dépendra assurément de la capacité des principaux dirigeants de la planète à mettre en œuvre des plans de relance de grande envergure afin d’éviter de rendre irréversible la perte de croissance potentielle qu’une telle crise pourrait avoir engendrée (sous-investissement matériel et immatériel, baisse de l’employabilité des jeunes, creusement des inégalités…). Dans cette optique, les banquiers centraux joueront encore certainement un rôle prépondérant en prolongeant leurs mesures de soutien quantitatif comme garde-fou à l’accroissement exceptionnel de l’endettement des entreprises et surtout des Etats. A titre d’illustration, les déficits publics en Zone Euro devraient atteindre près de 10% en 2020 et prolonger leur creusement en 2021 avec 7% supplémentaire, entraînant une hausse spectaculaire du ratio de Dette/PIB de plus de 20 points à 106% environ. Au fil des rachats d’actifs qui se poursuivront jusqu’en 2022 au moins, les bilans des grandes banques centrales (FED, BCE, BoJ et BoE) vont progresser significativement pour atteindre des niveaux jamais expérimentés depuis l’après-guerre. Celui de la BCE pourrait ainsi toucher 67% du PIB de la Zone Euro fin 2021 (près de 8 000 Mds€) tandis que celui de la FED se rapprocherait de 40%. En outre, en cas de retour de l’inflation proche de leur cible, certaines d’entre elles attendront que celle-ci soit largement dépassée pour remettre en cause leur politique actuelle (Cf. la Fed vis-à-vis de la symétrie autour de son objectif de 2%).
2021 devrait donc être l’année du rebond à condition que les campagnes de vaccination soient assez rapides pour permettre à l’ensemble de l’économie mondiale de rouvrir à partir du second semestre. Il est fort possible qu’en 2021, l’intensité de cette reprise soit très hétérogène et fonction de la spécialisation sectorielle des pays et de leur politique vaccinale (ou tout simplement de leur accès aux différents vaccins). Sans accident significatif supplémentaire, on s’attend ainsi à ce que les pays ayant le plus souffert rebondissent de manière plus vigoureuse tout en n’étant en mesure de retrouver le niveau de PIB d’avant crise qu’à partir de fin 2022. La France devrait ainsi croitre de 5% et les Etats-Unis de 4%.
Politiquement, post sénatoriales américaines du 5 janvier, cette nouvelle année devrait être beaucoup moins riche même si les élections législatives aux Pays-Bas en mars et fédérales en Allemagne au T3 2021, pourraient remettre en cause les avancées récentes du point de vue de la construction européenne suite au vote du plan de relance. D’autre part, le positionnement plus modéré de Joe Biden, notamment vis-à-vis de ses partenaires européens, devrait permettre d’éviter les escalades tarifaires expérimentées ces dernières années.
En dépit de l’aggravation sanitaire et des mesures de reconfinement qui en découlent dans la plupart des pays développés, les classes d’actifs risquées ont été portées par les espoirs suscités par l’efficacité des vaccins (Pfizer/Bio-N-Tech, Moderna et plus récemment Astra Zeneca/Oxford). Les marchés actions sont ainsi parvenus, après un trou d’air survenu fin octobre en amont des élections américaines, à rebondir fortement, réussissant à sortir par le haut du canal dans lequel ils avaient évolué depuis début juin. Les indices européens ont ainsi quasiment réussi à effacer leurs pertes, l’Eurostoxx 50 ne baissant que de 2.3% y compris dividendes alors qu’il avait baissé de plus de 25% au cours du premier trimestre. Mais les grands gagnants ont sans surprise été les indices américains, tirés par les valeurs technologiques et en particulier les GAFAM (+Tesla). Le Nasdaq et le S&P 500 ont ainsi largement dépassé leurs records atteints en février dernier et progressent respectivement d’environ 43% et 17% sur l’année (en dollar). Les indices chinois (+26.4% pour le CSI 300) et japonais (+8.9% pour le Topix) performent également de manière significative. Les émergents ont aussi bénéficié du retour en grâce des actions, le MSCI émergents s’adjugeant près de 19% en 2020.
Sur les marchés obligataires européens, les rachats massifs des Banques Centrales, conjugués à des anticipations d’inflation toujours très contenues et à des niveaux de liquidités extrêmement élevés chez la plupart des investisseurs, ont contribué à maintenir les taux étatiques sur des niveaux historiquement bas et à comprimer les spreads de crédit « Investment Grade » et « High Yield ». Le 10 ans allemand a ainsi terminé l’année proche de -0.6%, à -0.57%, après avoir bougé dans un corridor étroit de 20 bps autour de -0.5% au cours des 6 derniers mois, baissant de près de 0.4% par rapport à fin 2019. Les spreads périphériques se sont également détendus sensiblement contre Allemagne, les 10 ans italiens et espagnols terminant l’année respectivement à 0.54% et 0.04% tandis que le 10 ans portugais a fini l’année à 0% après être passé brièvement en territoire négatif. Dans ce cadre, malgré des émissions records et une dégradation des fondamentaux (hausse des leviers d’endettement et des taux de défaut), les spreads de crédit ont continué de se contracter finissant en moyenne l’année en ligne avec les niveaux de fin 2019 pour les émetteurs « Investment Grade » et seulement en légère hausse pour les segments du « High Yield » et des émissions subordonnées. Les autres classes d’actifs comme la Dette Emergente ont également profité de la baisse des taux sans risques (taux 10 ans US à 0.92% contre 1.92% fin 2019), de la forte dépréciation du dollar contre les principales devises développées (EUR/USD +8.9% à 1.2225) et du rebond des prix des matières premières (le baril de pétrole WTI dépasse les 45$).
Sur le portefeuille, après avoir effectué des volumes d’opérations très significatifs au cours du premier semestre, nous avons été moins actifs alors même que l’incertitude politique et sanitaire ne nous incitaient pas à augmenter notre proportion d’actifs risqués suite au rebond de leurs valorisations.
Notre volonté a ainsi été de maintenir une exposition actions proche de 8%, tout en effectuant des mouvements tactiques de réexposition ou de couvertures lorsque nous considérions que les mouvements de marchés étaient exagérés.
Sur les marchés obligataires, nous avons continué à investir de manière sélective sur le marché primaire de crédit afin d’augmenter notre diversification et capter, lorsque cela était possible, une prime par rapport au secondaire, notamment sur des émissions non notées ou émises en euro par des sociétés américaines. Notre sensibilité aux taux, que nous gérons via l’achat ou la vente de titres d’états « core », a baissé en fin de période pour s’établir proche de 4.7.
S’agissant des diversifications, nous avons pris trois engagements supplémentaires dans des fonds de Private Equity de secondaire afin de profiter de l’environnement macro-économique ainsi que d’une bonne diversification.
Dans l’infrastructure, nous avons initié un investissement dans le domaine des énergies renouvelables dans le but de participer ainsi plus directement à la transition énergétique.
Sur l’Immobilier, nous avons investi dans un fonds ouvert dans le domaine social (éducation, santé…).
Par ailleurs, compte tenu des forts resserrements de spreads expérimentés ces derniers mois, nous avons préféré ne pas renforcer nos expositions en « High Yield » et en dette émergente.
Enfin, notre poche monétaire, du fait du manque d’opportunités au cours du dernier mois de l’année, s’établit à environ 5% après avoir évolué entre 3 et 4% tout au long du second semestre de 2020.
En ce début d’année, nous comptons sur la réouverture du marché primaire de crédit afin de relancer nos investissements sur ce segment en privilégiant les émetteurs bien notés et peu cycliques. Nous profiterons de toute hausse significative des taux sans risques pour remonter progressivement notre sensibilité aux taux. Nous tirerons partie de la faiblesse du dollar et d’une éventuelle hausse des taux longs américains afin d’augmenter légèrement notre exposition à la devise américaine via des obligations libellées en dollar.
En outre, en cas de correction sur les marchés actions, nous repasserons surexposés sur la classe d’actifs, du fait de l’attrait relatif qu’elle revêt, en prolongeant nos efforts de diversifications géographiques et/ou de styles.
De la même manière, nous pourrions être amenés à renforcer nos expositions dans le High Yield, la Dette Emergente et les titres subordonnés, dans le cas où de forts écartements de spreads viendraient à se matérialiser. Nous devrions en revanche rester à l’écart des dettes périphériques.
Comme depuis de nombreuses années, il est utile de rappeler que l’ensemble de nos investissements font l’objet d’une sélection sous le prisme des critères ESG. En 2021, nous renforcerons nos encours en obligations « sustainable » et continuerons à chercher des projets à impact positif faisant financièrement du sens.
François LUCCHINI - Directeur de la Gestion d’Actifs