Mot du gérant - 1er semestre 2020
2020-07-21
François Lucchini - Directeur de la Gestion d'Actifs
Sans précédent !
Ces deux mots sont assurément ceux qui ont été les plus employés pour décrire la crise que nous sommes en train de vivre. Regardons sous quels aspects ce vocable est pertinent pour illustrer l’environnement macro-économique dans lequel nous avons évolué au premier semestre.
Du point de vue sanitaire tout d’abord, il est intéressant de noter qu’en raison de l’intensification des échanges commerciaux et des déplacements de population, nulle partie du monde n’a été épargnée par la diffusion d’un virus dont le nombre de cas déclarés dépasse désormais les 11,4 millions et qui aurait causé déjà plus de 530.000 morts. Si l’on se rapporte à l’histoire récente, on remarque tout de même qu’il y a 50 ans environ, la grippe de Hong Kong avait tué 1 million de personnes sur la planète sans faire l’objet d’une couverture médiatique importante ni de véritables mesures de confinement.
En un mois, la croissance molle s’est transformée en une très grave récession. La mise en place des confinements successifs a durement touché dans un premier temps les chaînes de production puis, très rapidement, les consommateurs des zones impactées et donc la demande finale. Il en résulte une révision extraordinaire des chiffres de croissance à l’échelon mondial ; les pays les plus affectés étant ceux qui ont instauré un confinement strict et qui cumulent à la fois une forte dépendance aux flux touristiques et à la demande internationale. Au final, selon les dernières prévisions du FMI, on peut s’attendre à une contraction de la croissance mondiale de plus de 4%, les PIB des Etats-Unis, du Japon et de la Zone Euro s’effondrant de 6% à 8% tandis que seule la Chine pourrait espérer connaître une légère progression de son activité. En se focalisant sur les grands pays de la Zone Euro, la France et l’Italie (autour de -10%) devraient publier les pires résultats alors que l’Allemagne devrait surperformer en affichant tout de même une chute de plus de 6% de son PIB.
Face à ce choc inédit, les réactions des Banques Centrales ont été également exceptionnelles, dépassant largement en amplitude et en célérité tout ce qui avait pu être annoncé durant les premiers mois ayant succédé à la faillite de Lehman Brothers. La BCE a ainsi décidé la mise en œuvre d’un programme de rachats d’actifs additionnel de 870 Mds € (PEPP = Pandemic Emergency Purchase Program) en complément d’un soutien massif à la liquidité des banques via un TLTRO III à taux négatif. De plus, au fil des conférences, elle a nettement renforcé sa « forward guidance » en soulignant qu’elle se tenait prête à faire davantage si nécessaire et que sa politique resterait accommodante tant qu’un retour sur sa cible d’inflation ne serait pas assuré. Dans le même temps, la FED a réagi de manière rapide en abaissant ses taux directeurs de 1,5%, en pourvoyant une liquidité illimitée au système financier et en relançant un QE à grande échelle (avec un élargissement des achats à certains titres obligataires High Yield).
En parallèle de cet activisme monétaire, tous les Etats ont mis en place des mesures de soutien à leurs économies correspondant à plusieurs points de PIB. Entre transferts directs aux entreprises (recapitalisation, allègement de charges et de cotisations) et aux citoyens (chômage partiel, « helicopter money ») et prêts garantis par les Etats, la facture non définitive entraînera une hausse inégalée des déficits publics. Ceci alors même que les plans de relance n’ont pas été encore tous annoncés ou validés.
Une possible mutualisation des dettes européennes ! Un plan de soutien européen d’envergure aux pays/secteurs les plus en difficulté, poussé par le couple franco-allemand et la Commission Européenne, est en cours de discussion et pourrait avoisiner les 750 Mds € (500 Mds sans contrepartie et 250 Mds sous forme de prêts). Celui-ci se heurte toutefois à la levée de boucliers des pays frugaux (Danemark, Pays-Bas, Autriche et Suède) et de certains pays de l’Est qui craignent une répartition des aides en leur défaveur. L’objectif de l’Allemagne, qui va occuper pendant les six prochains mois la présidence tournante de l’Union Européenne, est d’emporter un accord historique au prochain sommet de l’UE prévu les 17 et 18 juillet. Si la négociation aboutit cela permettra, en outre, de prouver aux eurosceptiques des pays du sud, tout l’intérêt que peut revêtir le fait de rester unis.
Une chute jamais expérimentée suivie d’un rebond historique ? Les mesures précédemment évoquées et la sortie actuelle du confinement semblent porteuses d’espoir quant au profil de la reprise dans les pays développés. En effet, même si le déconfinement ne paraît pas acquis partout (situation compliquée aux Etats-Unis et en Amérique du Sud), les indicateurs avancés (PMI, ISM, IFO, Michigan), les ventes au détail ou les créations d’emplois se redressent parfois de manière spectaculaire. Il n’en demeure pas moins que pour connaître le profil de la croissance en 2021
(V, √, U, L ou W), il faudrait savoir quelle sera la hauteur de l’éventuelle seconde vague et la capacité des dirigeants à la surfer. Il subsiste toutefois une certitude : de nombreux secteurs (loisirs, transports…) ne pourront retrouver leur niveau d’activité d’avant crise tant qu’un vaccin sûr et efficace ne sera pas disponible pour tous.
Une volatilité des marchés extrême! Seulement à de rares occasions (grande dépression et crises des subprimes), les mouvements de marché avaient été si violents et illisibles. Les marchés actions ont ainsi corrigé, entre fin février et mi-mars, de 25% à 40% en fonction des indices, avec quelques variations journalières supérieures à -10%. De la même manière, les spreads de crédit ont connu des variations abruptes, amplifiées par l’illiquidité des marchés, revenant sur des niveaux qui n’avaient plus été touchés depuis la crise des dettes périphériques. Les cours des matières premières ont également été très chahutés comme en témoigne le prix du baril de pétrole qui a coté en négatif pendant quelques heures en raison du débouclement des futures dans un environnement où l’offre et les stocks dépassaient largement la demande anticipée en plein confinement des principales économies mondiales.
Depuis la fin mars et l’annonce des soutiens multiples, on assiste à un retour en fanfare des classes d’actifs risquées, comme le prouvent les performances des indices américains qui signent leur meilleur trimestre depuis 33 ans. Au final, les baisses sont limitées et concernent peu les indices ayant une pondération significative en valeurs technologiques. Ainsi l’Eurostoxx 50, le S&P 500 et le Topix abandonnent respectivement 13,76%, 4% et 9,4% tandis que le Nasdaq progresse de près de 13% depuis le début de l’année !
Cette période a permis d’assister à un montant record d’émissions de dettes sur le marché du crédit de la Zone Euro avec, au terme du premier semestre, 331 Mds€ d’émissions (+52%/S1 2019) correspondant à 75% des montants émis sur l’ensemble de 2019. Ceci étant évidemment rendu possible par le soutien massif de la BCE qui permet également aux Etats d’accroître significativement leurs déficits publics sans entraîner pour autant une hausse des taux longs. A l’instar des actions, les spreads périphériques et de crédit se sont sensiblement détendus, le 10 ans italien se resserrant de 100 bps environ contre le 10 ans allemand depuis mi-mars tandis que les indices crédit ont en moyenne récupéré près des deux tiers de leur écartement. Les taux longs sans risques, après avoir touché de nouveaux points bas historiques (bund 10 ans à -0,86%), finissent le semestre en baisse d’une vingtaine de bps par rapport à fin 2019 à -0,44%.
Quels sont les risques pesant sur un rebond en V de l’économie mondiale ?
- L’apparition d’une seconde vague dans les pays les plus développés impactant la consommation discrétionnaire.
- La matérialisation du risque de refinancement des pays émergents dont l’endettement a crû de façon très rapide au cours de ces dernières années.
- Une résurgence des tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux (Chine, UE…) dans le sillage des élections présidentielles américaines et alors que Donald Trump est en posture défavorable dans les sondages.
- Une incapacité à trouver un compromis sur une sortie ordonnée de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne.
- Pour la Zone Euro, un blocage de l’action de la BCE par la cour de Karlsruhe. Cette hypothèse semblant écartée compte tenu du positionnement actuel du gouvernement allemand et des membres de la BUBA.
- Une incapacité des pays de l’Union Européenne à mettre au point un plan de relance d’envergure.
A plus long terme, il est probable que cette crise remette en cause la mondialisation telle qu’elle s’était mise en place notamment vis-à-vis du développement du tourisme de masse et de la délocalisation à outrance des chaînes de production manufacturière. En tous les cas, on peut anticiper que l’économie mondiale devrait retrouver son niveau d’avant crise au mieux après 2022.
En écho à notre dernière communication semestrielle, notre positionnement sur les classes d’actifs risquées en début d’année 2020 était prudent. Nous avons ainsi diminué notre exposition actions en tout début d’année avant l’enclenchement du mouvement violent de correction expérimenté en mars. Par ailleurs, nous avons également réduit notre sensibilité à certains émetteurs cycliques encore présents en portefeuille ainsi que ceux dotés des notations « ESG » les plus faibles. Nous avons compensé ces ventes par des achats de titres d’états « core ».
Nous sommes donc entrés dans la crise dans une situation plutôt favorable avec moins de 8% de sensibilité actions et une exposition très limitée aux émetteurs crédit les plus cycliques et les moins bien notés. Sectoriellement, sur le portefeuille obligataire, nous étions en effet totalement absents de l’Automobile, du Tourisme et des Compagnies aériennes et étions très sous pondérés sur le Pétrole et Gaz avec seulement 0,5% de notre portefeuille total.
Par conséquent, au fil de la baisse des marchés actions et des écartements de spreads de crédit, nous avons été en mesure de saisir des opportunités en arbitrage des titres étatiques préalablement achetés sur des niveaux de rendement très bas.
La très forte remontée des classes d’actifs risquées à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines, sans base fondamentale réelle, nous a incité à prendre des profits sur les actions et à toujours privilégier les entreprises les moins cycliques lorsque nous investissions sur le marché du crédit. Par ailleurs, nous avons utilisé l’aplatissement de la courbe des taux afin de renforcer notre exposition aux titres à taux variables et compléter nos achats de macro couvertures à la hausse des taux. Notre part variable (titres à taux variables, macro couvertures et monétaire…) s’établit désormais au-dessus de 20%.
Du côté des actifs de diversification, nous avons pris des engagements dans trois fonds de type infrastructure ou Private Equity, l’un d’entre eux étant spécialisé dans la protection des océans. Dans l’immobilier, nous avons mis en suspens certaines souscriptions en attendant une meilleure visibilité mais avons toutefois continué à investir dans les maisons de retraite en Allemagne et avons pris un engagement dans un fonds ouvert spécialisé dans l’Immobilier social (éducation, santé, logements étudiants…).
Pour le reste de l’année, tant que les taux longs core resteront négatifs, nous maintiendrons une sensibilité aux taux inférieure à celle de notre indicateur de référence. De plus, compte tenu des incertitudes actuelles, nous garderons une poche monétaire supérieure à 1%.
Sur les actions, nous sommes désormais proches de la neutralité et profiterons de tout mouvement violent de retournement à la baisse pour renforcer à nouveau notre bêta. A l’inverse, si le rebond devait s’intensifier et amener les marchés proches de leurs niveaux de fin février, nous passerions alors sous-exposés.
Sur les autres classes d’actifs, nous allons profiter de l’environnement actuel pour prendre des engagements dans des fonds de Private Equity de secondaire et des fonds de dette privée, segment sur lequel nous n’avions pas réalisé d’investissements depuis plus de trois ans. S’agissant de l’Immobilier, nous sommes en train d’évaluer des investissements dans le domaine des bureaux de centre-ville, dans la santé et même dans l’hôtellerie dans le but de profiter éventuellement des fortes baisses de valorisation que devrait connaître ce dernier segment. Notre objectif est de parvenir, d’ici fin 2021, à une allocation qui pourrait dépasser les 4%.
Enfin, nous continuons à œuvrer pour diminuer l’empreinte carbone de nos investissements et avons augmenté de manière substantielle nos achats de « green bonds ». De plus, nous réfléchissons toujours à la meilleure façon de mettre en œuvre un investissement dans le domaine de la reforestation.
CE QU'IL FAUT RETENIR